Prieuré de Sainte-Gemme
Sainte-Gemme était au XI° siècle un petit village perdu dans une clairière de la forêt de Baconne en Saintonge. Il fut vraisemblablement fondé par des proscrits espagnols. Sainte Gemme est, en effet, une martyre ibérique du II° siècle. Son culte s'est propagé en France suivant une ligne partant de la frontière et qui, depuis les Pyrénées monte jusqu'au Maine et à la Bretagne en touchant de proche en proche dix-huit départements. C'est vraisemblablement le chemin suivi par les émigrants espagnoles fidèles à leur foi et à leurs traditions.
A la fin du XI° siècle Guillaume VIII de Poitiers, comte de Poitiers et Duc d'Aquitaine fit, "pour le salut de son âme", d'importants dons en terres aux Abbés de la Chaise-Dieu en Auvergne, à charge par eux de fonder un monastère à Sainte-Gemme.
Prieuré de Sainte-Gemme
Depuis 1079 et pendant la première moitié du XII° siècle, l'église pré-casadéenne est adaptée et utilisée par les moines de la Chaise-Dieu. Une nouvelle église est tracée, le transept est édifié ainsi que, au moins, la base d'un clocher sur croisée avec son escalier en colimaçon. Les autres structures de l'église sont commencées après l'édification du transept ; la plupart des bâtiments claustraux sont construits ou commencés. Longue de 55 mètres à l'époque romane, son plan était en croix latine.
Au cours de la seconde moitié du XII° siècle, on parachève la nef et ses structures d'accueil.
Au cours du Moyen-Âge, l'église connait une série de réaménagements. Au XIII° siècle, un jubé en pierre de taille est érigé, séparant l'espace liturgique de la nef. Au XIV° ou XV° siècle, l'abside du chœur est remplacée par un chevet plat.
Une niche ogivale, le jubé, large d'environ 2,45 mètres pour 1,40 mètre de hauteur est englobée dans le mur qui limite aujourd'hui la nef vers l'Est. Ce mur a été érigé afin de fermer la nef qui fut amputée de son transept et de son chœur pendant les guerres de religion.
De l'église, seuls subsistent de nos jours la nef de trois travées, bordée de collatéraux et précédée d'une avant-nef.
Façade
Trois grands contreforts, apparemment tardifs, la soutiennent. Celle-ci présente deux étages surmontés d'un pignon à campanile percé d'une baie. Deux fortes demi-colonnes montent du sol jusqu'au pignon et divisent cette façade en trois aires. Celles du premier étage s'ornent chacune d'une grande fenêtre romane à deux archivoltes portées sur des colonnes à chapiteaux. Celles du rez-de-chaussée sont occupées par un portail à trois voussures et deux grandes baies aveugles à une seule archivolte portée par des colonnes. Deux corniches à modillons sculptés traversent cette façade mais seulement une douzaine de ces modillons sont d'époque romane, les autres comme la plupart des voussures des arcades, le pignon et le campanile ont été refaits récemment (1869-1870), soit environ 80% des parements et des sculptures.
Narthex (Avant-nef)
Le narthex ou Avant-nef est une salle rectangulaire de 6 mètres sur 14, couverte de trois voûtes sur croisées d'ogives. Les arcs du milieu sont formés de gros tores à section cylindrique, ceux de la voûte de gauche de tores plus petits accolés par trois et ceux de la voûte de droite, très volumineux aussi, de nervures à profil prismatique. Ces arcs retombant sur de courtes colonnes surmontées de beaux chapiteaux à décoration végétale fouillés et bien conservés.
Parfaitement conservée aussi est la très belle ornementation des quatre voussures de la magnifique porte donnant accès à la nef. Cette porte en plein-cintre a ses pieds-droits formés de piliers carrés dont les angles rentrants sont garnis de colonnes. Les chapiteaux délicatement recouverts de feuillages et d'entrelacs sont en tout point, comme les arceaux de la porte elle-même, dignes de retenir l'attention.
Nef
Dans la nef, seuls neufs chapiteaux sont sculptés, les autres sont lisses. Parmi ces chapiteaux, six sont recouverts de feuillages, un autre est orné d'entrelacs en méplat, un huitième est couvert d'écailles. Sur le dernier, des quadrupèdes et des oiseaux sont sculptés en méplat sur une corbeille lisse.
Les bâtiments claustraux
- Cloître
A l'époque romane, le cloître du prieuré de Sainte-Gemme recouvrait un quadrilatère d'environ 15,50 mètres sur 19,00 mètres. Aujourd'hui, malgré la disparition de ses galeries, il est l'un des mieux conservés en Saintonge. La présence des arrachements de quelques voûtes et de treize colonnes engagées, partiellement préservées, nous permet d'imaginer des galeries couvertes de voûtes d'arêtes en moellons ébauchés sur couchis et tas de charges en grand appareil de pierre de taille.
Les galeries du cloître étaient soutenues à l'intérieur par 21 colonnes engagées. Dans les angles, les voûtes retombaient probablement sur des consoles réduites à de simples moulures.
Au XIII° siècle, un enfeu fut encastré dans le mur roman de l'église, à l'Est de la galerie Nord du cloître. L'ogive et les profils sont semblables à ce que l'on suppose être le jubé de l'église.
Les bases de colonne du cloître sont toutes différentes, mimant ou interprétant naïvement l'ordre corinthien avec deux tores reliés par une scotie et une plinthe.
- Salle capitulaire
Au niveau inférieur, le bâtiment Est abritait la salle capitulaire (ou chapitre) et de probables espaces de travail. La salle capitulaire, pièce la plus importante après l'église, était destinée à la réunion journalière de la communauté. On y lisait un capitulum (article de la règle), le supérieur faisait des commentaires, on y traitait des affaires courantes. La communauté y était aussi rassemblée dans des cas particuliers comme l'admission d'un nouveau frère où l'arrivée d'hôtes importants.
La salle capitulaire romane, de dimensions réduites (environ 6,80 par 5,70 mètres, ouverte par une porte encadrée par deux baies), avait initialement un plafond en bois, au-dessus duquel se trouvait le dortoir des moines, conformément à l'habitude bénédictine. Au cours de la deuxième moitié du XIII° siècle, la salle capitulaire fut agrandie et couverte de pierre. On a remplacé le plafond en bois par des croisées d'ogives qui reposaient sur huit culs-de-lampe et sur une colonne centrale qui garde encore sa base et sa retombée de huit nervures. Seuls trois des huit culs-de-lampe gothiques sont préservés. L'un d'eux est orné d'un basilic.
Basilic
Au Moyen Âge et notamment en France, l'apparence du basilic se modifia : décrit comme un serpent à l'origine, il devint quadrupède et couronné et se vit attribuer une paire d'ailes souvent épineuses, de reptile ou un crochet au bout de la queue. Il prit généralement l'apparence d'un coq à queue de dragon ou d'un serpent aux ailes de coq, ou d'un dragonnet d'une quinzaine de centimètres de long pourvu d'un souffle délétère et empoisonné. En 1642, la gravure de l'Histoire naturelle des serpents et dragons d'Ulisse Aldrovandi attribue au basilic huit pattes et des écailles. Les représentations du basilic sont extrêmement variables, avec pour seule constante le pouvoir meurtrier de son regard.
- Bâtiment occidental
C'était le bâtiment le plus imposant et il est maintenant celui qui est le mieux conservé. Sa façade du côté du couchant fut renforcée et décorée par sept grands arcs aveugles. La construction avait deux niveaux. Le rez-de-chaussée devait servir de parloir et de cellier. On suppose que le grand espace à l'étage (22,90 par 6,60 mètres), pourvu de nombreuses ouvertures, servait de dortoir aux frères convers ou aux visiteurs.
Sources
Textes :
Basilic : créature de la mythologie grecque
Les Églises de Saintonge - Saintes et ses environs, Charles Connoué, Delavaud, 1952
Texte/Plan/Restitution :
Le Prieuré de Sainte-Gemme - Histoire, Architecture, Sculpture, Restitutions, Andreï Gh. Vlad et Nathalie Soline,
Photos numériques : 2015