Thubursicu Numidarum, aujourd'hui Khemissa, près de la source de la Medjerda et à environ 26 kilomètres de Madauros, est entourée d'un territoire fertile et bien arrosé. La ville primitive devait occuper un mamelon aux pentes rapides ; plus tard, elle s'étendit au Nord sur une longue croupe, située au-dessous de ce mamelon, mais dominant la vallée de la Medjerda ; elle descendit même dans la plaine
Cité numide, comme son nom l'indique, Thubursicu Numidarum fut érigée en municipe romain au II° siècle de notre ère, vraisemblablement sous Trajan ; dans la seconde moitié du siècle suivant, elle portait le titre de colonie. Les habitants, presque tous d'origine indigène, gardèrent longtemps l'empreinte de la civilisation carthaginoise qui s'était imposée à leurs pères : les noms phéniciens abondent sur les épitaphes de Khemissa. Cependant, ils adoptèrent peu à peu les mœurs latines. Sauf un sanctuaire de style punique qui borde la " vieille place " (platea vetus), les monuments de Thubursicu ont tous un aspect romain.
La vieille place (platea vetus) se trouve dans le quartier oriental de la ville. Elle est creusée en partie dans le roc et formée d'une série de terrasses étagées qui communiquent par des marches. Divers bâtiments la bordaient ; le temple seul se distingue avec netteté. Le véritable forum de Thubursicu, devenue commune de droit romain, était sans doute de l'autre côté, à l'Ouest. Un arc à trois ouvertures y donnait accès. A proximité, on reconnaît des vestiges de plusieurs édifices, parmi lesquels il y avait probablement des thermes. D'autres thermes s'élevaient peut-être au Sud-Est, au-delà de la platea vetus. Plus loin encore, dans la même direction, une grande porte à une seule baie a été construite à l'entrée de la ville, sur une voie qui conduit à Tipasa de Numidie. Un théâtre occupe le pied de la croupe, au Nord. A très peu de distance, le nymphée où naît l'Aïn el Youdi, que les anciens regardaient, semble-t-il, comme la source du Bagradas, aujourd'hui la Medjerda.
Tout autour, des ruines confuses émergent du sol ; nous avons cru reconnaître les traces d'un vaste monument, présentant deux ailes parallèles (probablement des portiques), longues de 25 mètres, distantes l'une de l'autre de 40 mètres : ce devait être un château d'eau, analogue à celui qui se voit à la naissance de l'aqueduc de Carthage, au djebel Zaghouan.
Porte dite El Gaoussa :
L'arc à une baie, le type le plus simple, comporte deux pieds-droits, carrés ou rectangulaires, sans autre décoration qu'une base moulurée et une corniche placée à l'imposte de l'arcade. Un
entablement passe au-dessus de la baie et fait le tour de l'édifice. Il est surmonté d'un attique.
Telle est la disposition de la porte dite El Gaoussa (l'arc), qui se dresse à l'extrémité Sud-Est des ruines de Thurbursicu, sur la voie romaine de Tipasa. Elle est assez bien conservée et atteint encore une hauteur d'environ 6 mètres ; cependant l'entablement et
l'attique manquent. La baie mesure 4 mètres d'ouverture, les pieds-droits, 2,10 mètres de long sur 1,85 mètre de large. L'arcade ne présente point d'archivolte. La construction n'appartient pas à
une bonne époque, les moulures de l'imposte sont d'un profil peu correct : cette porte pourrait bien ne pas être antérieure au IV° siècle.
Vue d'ensemble du nouveau forum (forum novum), une fois la porte El Gaoussa franchie :
Au premier plan, sur la droite, les thermes, puis derrière, le nouveau forum avec, sur la droite, le haut de l'arc à trois baies dont seules deux sont visibles, puis à nouveau des thermes et enfin le village moderne de Khemissa.
Dimensions de l'arc à trois baies :
- Baie centrale :
Largeur : 3,42 mètres
Hauteur : 5,20 mètres
- Baies latérales :
Largeur de la baie : 2,20 mètres
Hauteur : 4,60 mètres
Profondeur : 1,55 mètre à la base ; 3,20 mètres au-dessus des "retraites" (piédestaux)
Devant ces baies, un perron de six marches s'élevait depuis la voie à portique qui les bordait. L'espace auquel on abordait en passant sous ces baies était irrégulier, constituant un polygone irrégulier à six côtés : le Forum Novum. Tout porte à croire cependant que l'urbanisation de ce quartier date des premiers Sévères.
Thermes - Nouveau forum -Arc à trois baies - Ksar el Kebir
Il faut vraisemblablement attribuer à l'époque byzantine une chapelle chrétienne dont les ruines se voient sur la pente Nord-Ouest de la colline, entre le Ksar el Kebir et le forum novum. Les murs fort épais de cet édifice sont faits avec des matériaux de démolition et offrent le mode de construction que les Byzantins employaient dans leurs forteresses. De la même époque date sans doute le Ksar el Kebir, fortin dressé sur le ressaut qui domine le théâtre et d'où la vue embrasse la haute vallée de la Medjerda. Un autre fortin fut établi sur des ruines de thermes, vers le bas de la colline, au Nord-Ouest. Plus tard, on éleva autour de l'un de ces ouvrages des enceintes qui durent constituer des refuges. A 600 mètres environ au Nord-Nord-Ouest du Ksar el Kebir, au-dessus du confluent de la Medjerda et du ruisseau que forme l'Aïn el Youdi, subsistent des restes d'une autre enceinte grossière, de cinquante mètres de côté ; elle dut être faite sous la domination byzantine ou même dans des temps postérieurs.
Ce sont là des témoignages de l'agonie d'une ville dont la population, encore nombreuse, vivait dans la crainte des surprises et du pillage. Avec les débris romains, elle bâtissait non seulement
ces fortins, ces refuges, mais aussi les misérables maisons dans lesquelles elle végétait. Blottie au milieu des décombres de la riche cité, elle y enterrait çà et là ses morts : les vieux
cimetières étaient trop loin.
Le théâtre :
C'est l'un des plus beaux, des plus complets, des plus majestueux qui existent actuellement en Afrique. Il mesure 70 mètres de large et le rayon de l'hémicycle, à sa partie supérieure, est de
56,80 ; les théâtres de Cherchell et de Philippeville sont plus importants ; mais, grâce aux belles pierres de taille dont il est fait, il a pu résister aux assauts du temps. Le mur de la scène
s'élève encore à une hauteur de 9 mètres ; les vingt-deux premières rangées de gradins sont intactes ; les deux passages latéraux qui conduisaient à l'orchestre, avec le cintre de leurs voûtes en
grand appareil, ont à peine souffert et supportent les restes des tribunalia (loges d'honneur).
On pense qu'il a été construit soit au II°, soit au III° siècle de notre ère. Par ailleurs, il est resté inachevé, faute de donateurs.
Le pavement de l'orchestre n'a pas disparu, non plus que les bandes de pierre où venait s'appuyer le plancher de la scène. Bien conservés également sont les foyers qui encadrent celle-ci à droite
et à gauche, alors que d'habitude ils se sont écroulés avec le mur du fond.
Comme ailleurs, comme à Dougga par exemple, l'aulaeum était remplacé par ces rideaux nommés siparia, qui s'ouvraient et se
repliaient l'un à droite, l'autre à gauche de la scène.
Aulaeum : Rideau du théâtre romain. Il ne se baissait pas comme aujourd'hui, il montait de dessous terre. On le baissait au commencement de la pièce, pour le relever à la fin. On y peignait
des figures d'hommes et de dieux. Lorsqu'on baissait le rideau, il devait s'enrouler autour d'un cylindre ou de plusieurs, à peu près au niveau de l'orchestre et dissimulés sous le plancher de la
scène.
Esplanade du théâtre :
Comme la cavea, dominée par la colline, n'avait aucune porte à sa partie supérieure, tous les spectateurs devaient entrer soit par l'extrémité du couloir de l'Est, soit par le devant.
Ceux qui allaient se placer dans l'orchestre ou occuper les gradins inférieurs de la première zone, passaient par les deux couloirs.
Ceux qui se rendaient aux loges et à la zone supérieure montaient par un des deux escaliers.
Il est probable que les gens qui devaient se placer aux derniers rangs de la première zone faisaient de même. Cette zone n'ayant pas d'escaliers, il fallait, selon que l'on venait d'en bas ou
d'en haut, grimper sur les gradins ou les descendre en sautant.
L'édifice, qui devait contenir environ 2900 personnes, avait donc des dégagements peu nombreux et l'installation du public n'allait pas sans quelque désordre. La plupart des théâtres antiques
étaient beaucoup mieux aménagés à cet égard.
Théâtre - Nymphée (Aïn el Youdi)
Le nymphée (Aïn el Youdi) :
Il se compose de deux bassins se faisant suite et de constructions annexes qui les entourent.
Le premier, à peu près rectangulaire, d'une profondeur de 1,40 mètre, mesure 47 mètres de long sur 13 mètres dans sa plus grande largeur ; l'autre, également rectangulaire au début (18,50 de large) se termine en fer à cheval, par une partie courbe de 26,50 de diamètre. L'eau s'échappait de ce dernier, par une vanne, à son extrémité Nord-Ouest.
Entre les deux était un troisième bassin, très étroit, presque une rigole, où venait aboutir une conduite partant d'une autre source, celle-ci d'eau douce, l'Aïn-el-Bir, située à 400 mètres de là.
" Entre les deux grands bassins, on pouvait donc constituer un réservoir d'eau potable, préservé de tout mélange fâcheux ; car on avait alors soin de lever la vanne du canal qui passait
au-dessous et que suivait l'eau de l'Aïn-el-Youdi. Le trop-plein s'écoulait dans le bassin circulaire en franchissant la clôture de dalles. L'Aïn-el-Bir accroissait ainsi l'Aïn-el-Youdi et
formait comme le prolongement de la source du Bagradas. "
On suppose que les deux grands bassins, quand ils étaient remplis, ont peut-être servi à prendre des bains. La piscine rectangulaire est limitée, du côté du Sud, par un quai que borde une file de
constructions, terminée par une salle à deux niches où ont été recueillis des fragments de statues, en particulier un torse de Diane. Ce serait, pense-t-on, un sanctuaire consacré aux divinités
protectrices de la source.
Les anciens croyaient que le grand fleuve qui arrose la Tunisie septentrionale, la Medjerda, autrefois Bagradas, prenait naissance à Thubursicu ; c'est ce qu'affirme Julius
Honorius et les Arabes, gardiens de cette tradition, sont persuadés que l'origine du fleuve est une source d'eau saumâtre, nommée " Aïn- el-Youdi ", qui jaillit au milieu même des ruines.
La vérité est que le ruisseau issu de l'Aïn-el-Youdi est un des premiers affluents de la Medjerda qui, elle, naît dans le massif montagneux un peu au Nord-Ouest de Khemissa. Il n'est point
étonnant que pour un si beau fleuve les habitants de Khemissa aient voulu se mettre en frais et construire un palais de réception digne de lui.
Sources
Textes :
Les arcs de triomphe dédiés à Caracalla en Afrique romaine, Anne-Marie Leydier-Bareil, Université de Lorraine
Stéphane Gsell, Les monuments antiques de l'Algérie, Tome 1, Albert Fontemoing Editeur, 1901
René Cagnat, La ville de Thubursicu Numidarum en Algérie [St. Gsell et Ch. Alb. Joly. Khamissa, Mdaourouch,
Announa. Première partie : Khamissa], Journal des savants, 14° année, Février 1916
Textes/Plans :
Stéphane Gsell, Ch. Albert Joly, Khamissa, Mdaourouch, Announa, 1ère partie : Khamissa, Fontemoing & Cie, 1914
Plan :
Frank Sear, Roman theatres - An Architectural Study, Oxford University Press, 2006
Photos : 1978 - 1983